Extraits :
Évoquer ce jardin, malgré sa superficie très limitée, ou parler de voyages lointains, c’est toujours une manière de rendre justice à la beauté dont nous avons besoin… mais également une tentative d’habiter le monde, à un moment de son histoire où celui-ci devient de plus en plus invivable, au sens le plus strict du mot. Michel Foucault nous rappelait que dans la tenue d’un jardin, il y a également le souhait, en opposition au monde que nous habitons, de « créer un autre espace, un espace réel, aussi parfait, aussi méticuleux, aussi bien arrangé que le nôtre est désordonné, mal agencé et brouillon. »
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Comme le faisait remarquer un historien, l’hortensia, aujourd’hui indissociable de l’image de la Bretagne, était inconnu lorsqu’Anne de Bretagne régnait. L’une des missions qui incombait aux expéditions maritimes, et plus largement à toutes les explorations scientifiques, consistait à rapporter graines, semences, plants des terres abordées ou parcourues. Formalisée au 18e siècle, la démarche n’est pas nouvelle puisque l’une des premières traces de cette préoccupation remonte à l’Egypte Antique : en 1495 avant JC, la reine Hatchepsout envoya une expédition au pays de Punt, l’actuelle Somalie, afin de rapporter « l’arbre à encens ».
Le jardin, par certains aspects, est l’antichambre du monde, tout ce qui s’y passe engendre des répercussions sur celui-ci, ou bien se fait entendre, parfois à bas bruit. L’évolution des espèces d’oiseaux qui fréquentent la Bretagne, le déclin des insectes, le dérèglement climatique, la montée des eaux… inutile d’insister. Mais c’est aussi un sas, un entre-deux entre la brutalité du monde et la protection, illusoire, qu’offre la possession d’un « chez-soi ». C’est en cela que le jardin est également un lieu de consolation (peu importe l’immense étendue des motifs dont il console) et écrire sur lui, évoquer les bienfaits qu’il prodigue, redouble ce pouvoir de consolation.
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Lorsque je contemple le tronc clair des bouleaux, je ne peux m’empêcher de penser à la phalène du bouleau (Biston betularia), un petit papillon au sujet duquel vaut la peine d’être contée l’anecdote suivante : la coloration de ses ailes, blanche légèrement tachetée de noir, lui permet lorsqu’il se
pose sur une surface claire comme celle des troncs de bouleaux, d’échapper à ses prédateurs, les oiseaux de nuit essentiellement. Au début du XXe siècle, dans la région de Manchester, région très industrielle de la Grande-Bretagne, les entomologistes ont constaté une évolution dans la coloration dominante des ailes de ce papillon, passant d’une forme claire à ne dominante plus sombre. L’explication tenait en quelques mots : la suie provenant des cheminées des nombreuses usines tendaient à noircir les surfaces claires, comme celles des troncs de bouleaux. Les phalènes qui présentaient des taches noires abondantes avaient alors plus de chance d’échapper à l’appétit des prédateurs. Peu à peu, la forme sombre devint majoritaire chez ces papillons alors qu’elle était très minoritaire auparavant. Cette forme d’adaptation à la pollution s’est confirmée, à rebours, bien des décennies plus tard : avec la désindustrialisation et les progrès dans le traitement des fumées, les troncs de bouleaux, ont peu à peu retrouvé une apparence plus claire ; les formes claires ont également repris le dessus chez les phalènes par rapport aux formes sombres…