Le rire de Xavier Grall
Extrait – 1
Ohé ! Ohé, là-dedans ! Ouvre-moi !
Il a frappé, frappé encore, tambouriné dans ma nuit, bottant le cul de la porte. J’étais à peine surpris, comme l’aubergiste devant un marin ivre : je m’attendais à sa visite. Depuis le temps qu’il hantait mes pensées !
Me laisses-tu à ta porte ou accueilles-tu ma soif ? Je reviens d’un siècle de mer, moi, le Barde imaginé, volant aux quatre vents. Tu m’entends ? Je suis fils d’Ys et d’Iroise, le laboureur d’écume et de mots. J’ai un immense besoin de ton rhum, le sel brûle mes lèvres et ma langue est asséchée. Ouvre-moi ! Ouvre-moi !
Il est ainsi entré dans mes rêves pour ne plus jamais en ressortir.
Il a envahi mes insomnies, avec la même allure, cette dégaine bien à lui, son franc parler et son regard à vous pénétrer les recoins de l’âme. J’ai ouvert à sa légende, à ses longs cheveux raides, à ses yeux en billes d’acier, à sa grâce soudaine. Il a tout emporté : mon innocence et mes lointaines craintes, ma recherche de racines, mes amours impossibles.
Extrait 2
Je crois alors comprendre le caractère hypnotique de l’écriture de Xavier Grall. Mon inconscient s’y promène à son aise, des ponts se font entre ma vie et les mots de Grall, entre mes mots et la vie de Grall. Comme dans un morceau de jazz, il joue avec ses phrases une partition parfois précise ou une improvisation virtuose. Il n’y a qu’à se laisser entraîner sur son chemin fait d’envolées lyriques ou de petits faits quotidiens, mais toujours avec le même élan, la même fougue toute musicale de son style, son harmonie à lui.
Extrait 3
Quel homme aurais-je rencontré si Xavier Grall avait vieilli sur les bords de l’Aven ou sur le port de Concarneau ? Un vieux poète aigri ? Un beau vieillard apaisé ? Je ne le saurai jamais. Qu’importe. Aujourd’hui, son ombre plane sur mes mots, sa vie rebondit sur la mienne, il envahit mes songes. Il a trente, quarante, cinquante ou dix ans. Il rit, il vit, il chante. Il se tait, il s’enflamme, il s’énerve aussi. Xavier est vivant, parfaitement vivant.
Extrait 4
A la fenêtre devant laquelle j’ai installé mon bureau, je regarde l’automne descendre sur les arbres du jardin. J’y compte plus de dix couleurs parmi les feuillages. Je rêve, éveillé. Mon Grall est comme l’automne, un kaléidoscope varié de teintes et de sentiments.
Ce diable d’homme devient rétif. Plus je le traque, plus il m’échappe. Il ne fait rien à moitié. Obscur parfois et déroutant souvent, à cent lieues du politiquement correct. Capable d’amitiés multiples et larges. Eclectique ou naïf ? Inconscient ou maladroit ? Entier toujours, au point d’être capable de se mettre à dos ceux-là même qu’hier il encensait, pour demain les serrer à nouveau dans ses bras, se confondant en mille excuses. Plus j’apprends à le connaitre, prêt à saisir ce rire dont il n’était pas avare, plus il me renvoie des aspects contrastés de son image et parfois des éléments négatifs.
Extrait 5
Je vois Xavier dans sa maison de Bossulan.
Tôt le matin, la maison est calme. Il a enfilé son gilet breton, le brun en velours côtelé, celui de la semaine. Il en porte un autre, noir, le dimanche. Il se lève, pose un disque sur l’électrophone, Mozart ou Schubert, à moins que ce ne soit Julien Clerc ou le Time Wind de Klaus Schulze, des goûts bien variés. Puis, il s’assied à son bureau. Par la porte-vitrée, il regarde la nature entourer sa maison, les rafales de vent, le crachin qui balaye le jardin ou le soleil qui envahit la pièce d’un halo neuf. « En moi résonne le chant cyclique, rythmique des saisons. Les pluies m’assombrissent, la lumière me bouleverse. » Son écriture s’en ressentira. Les filles sont parties au lycée, Françoise est affairée dans la maison, fourmi discrète et si présente. Sa machine à écrire est devant lui, il y glisse une feuille de papier, lève deux doigts, réfléchit. Dans une farandole de touches frappées à l’emporte-pièce, par multiples crépitements musicaux, il tape son texte, envolée de mots, paragraphes-oiseaux, pages flux et reflux d’océan. Il allume cigarette sur cigarette, se lève parfois pour se servir une tasse de café, revient, fait repartir le disque en boucle, toujours le même pendant des jours entiers, il se remet à la tâche. C’est toute une vie qui s’écrit : pensées et ressentis, plaies et joies, passé et futur, réminiscences et espoir. Des ajoncs peuplent ses pages, des brandes ventées, des oiseaux criards, des haies vives, la mer bien sûr, la mer là-bas, que l’on devine derrière une dune, au-delà des collines boisées, au pied des falaises à pic, lointaine ou proche, la mer essentielle et maternelle. Et puis, il y a la vie, la vie toujours, la vie.