EXTRAITS
Extrait 1
« J’admets, disait M. Pouchard, que l’homme, aidé de la machine, – vraisemblablement poussé à un degré de perfection stupéfiant –, arrive à se jouer si bien des forces naturelles que l’état économique du monde en soit modifié ; mais encore l’homme n’en demeurera-t-il pas moins l’être moral que la civilisation a fait, et avec un plus grand besoin de vie morale, précisément à mesure que l’évolution économique se produira plus vite, – et toujours infiniment plus vite –, car ce sont là des secousses que l’on ne traverse pas sans avoir l’âme chevillée ; à moins qu’il ne devienne lui-même le serviteur, de plus en plus abêti, de la machine sans cesse perfectionnée avec un effort moindre, et alors c’est une espèce de retour à l’état barbare, que vous me permettez de ne point fêter avec enthousiasme. »
Extrait 2
La plume regimbe à décrire l’appartement des jeunes Pouchard. […] Et les pièces étaient disposées avec tant de prévoyance, selon l’ordre quotidien des besoins généraux et même des désirs particuliers, qu’il devenait en vérité à peu près oiseux à monsieur et à madame d’être montés sur jambes, comme l’humanité vulgaire, car il ne leur était pas indispensable de faire dix pas dans une après-midi. En un mot, à l’appartement de l’avenue Kléber, toute demande du corps humain était satisfaite et comblée avant même, pour ainsi dire, qu’elle eût atteint la conscience ; tout effort était inutile, toute intervention cérébrale superflue.
Qu’eût-on inventé de plus raffiné pour l’abêtissement définitif de l’homme ?
Extrait 3
C’était le moment où l’automobilisme commençait d’agiter la ville et la banlieue, de soulever le simoun sur les routes, de culbuter les promeneurs paisibles, de troubler les chiens endormis au milieu des chemins, les enfants, les poules et les oies qui formaient avec le fumier, dans la rue du village, un assemblage si pittoresque et si tranquille depuis le temps lointain des diligences.