C’était une île, tranquille, dans le golfe du Morbihan. Une île parmi d’autres. Peu importe son nom. Ceux qui l’habitaient ne la désignaient pas précisément. Pour eux, c’était simplement : l’île. Comme s’il n’y avait qu’elle dans le golfe du Morbihan, qui comprend, dit-on, autant d’îlots que l’année compte de jours. Lorsqu’ils revenaient du continent, après un séjour, une escapade, une simple course dans la ville la plus proche, ils disaient : « Je retourne sur l’île. » Comme s’il n’y en avait qu’une au monde. Leur île. L’île de leur bonheur.
Dans une petite maison blanche, toute simple, aux volets bleus, Maëlle Kerangall vivait heureuse avec son amie Katell Colin et leur chat, Plume. Personne, sur l’île, ne leur prêtait une attention particulière. Elles vivaient là, depuis longtemps. L’une écrivait, l’autre méditait. Vies discrètes, silencieuses, attentives au monde. Personne, non plus, ne s’étonnait des habitudes de Maëlle, première levée sur l’île, avant le soleil, pour accomplir sur la plage, près de la petite maison blanche, son yoga en mouvement, que les profanes appellent gymnastique chinoise et que les initiés désignent par le nom de Taï-Chi-Chuan.
Maëlle commençait sa gestuelle méditative par le salut au Tao. Enracinée dans le sol, elle esquissait dans l’espace des mouvements très lents. Ses bras, tendus entre ciel et terre, dessinaient des figures circulaires. Puis, tel un oiseau, elle évoluait, légère, sur le sable, et traçait dans l’air une suite ondoyante de formes harmonieuses, rythmées par sa respiration. Elle avançait, souple et gracile, et ses bras devenaient des ailes.
Ainsi s’ouvraient tous ses jours, en toute saison. Par temps de clémence ou de grand vent. Elle venait sur la plage, près de la maison blanche aux volets bleus, et veillait, par sa danse inspirée, sur la paix de l’île. Vigile fidèle, telle une lampe allumée avant le lever du jour.
Ce matin-là, elle regardait l’horizon, confiante en la venue de la lumière. Tout en dansant lentement sur la plage, elle contemplait la mer. Des vagues brodées d’écume se déroulaient sur le sable. Maëlle s’avança vers l’eau, pour y accomplir le dernier rite matinal : un bain de pieds revigorant.
C’est alors qu’elle découvrit ce qu’elle n’aurait jamais voulu voir. Derrière la petite frange d’écume blanche, dans la lueur fragile de l’aube, la mer lui apparut étrangement sombre. Il lui semblait vivre un cauchemar. La compagne qui rythmait de son chant et de ses flots la vie de l’île était défigurée, polluée, massacrée. Elle recula d’horreur devant la longue, lourde, énorme nappe goudronneuse.