Je m’offre comme un correspondant encore plus rare – Tome III (1855-1862)

Correspondance générale de Thoreau en trois volumes. Le 3e et dernier volume couvre 7 ans, de 1855 à 1862.

Traduction : Thierry Gillyboeuf

L’établissement de cette correspondance repose sur l’édition américaine publiée en 1906 et épuisée depuis, à laquelle viennent s’ajouter des lettres retrouvées, mentionnées qui étoffent sensiblement l’ouvrage de départ. Elle est le fruit de longues recherches bibliographiques entreprises par Thierry Gillyboeuf, auteur de la seule biographie française de Henry David Thoreau parue chez Fayard en 2012 et qui s’est
lancé, en parallèle, dans la traduction de l’intégralité du Journal dont quatre volumes ont d’ores et déjà paru chez Finitude, le cinquième étant prévu pour l’automne 2019.
Conçue ainsi, elle propose aux lecteurs français l’édition la plus complète, à ce jour, de la correspondance de Henry David Thoreau. Cette publication allie la rigueur d’une édition qui vise à l’exhaustivité, à un texte littéraire vivant et captivant. Spécialistes et curieux y trouveront le même bonheur de lecture.

Format : 14×19
Nombre de pages : 663 pages
ISBN : 978-2-84418-384-2

Année de parution : 2020

 

22,00 

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1855
Henry David Thoreau à Harrison Gray Otis Blake
Concord, 27 juin 1855
Mr Blake,
J’ai été malade et incapable de rien que de rester étendu sur le dos (1) à attendre que quelque chose se passe, depuis deux ou trois mois. Cela m’a forcé à reporter plusieurs choses, parmi lesquelles vous écrire à vous à qui je suis profondément redevable, et vous inviter, Brown et vous, à Concord – n’ayant pas l’esprit à cela. Je devrais me sentir moins honteux si je pouvais donner un nom à ces troubles, mais j’en suis incapable, notre médecin ne peut m’y aider et je me refuse de prononcer à faux le nom d’une quelconque maladie (2). Il y a cependant une consolation au fait d’être malade, c’est la possibilité de recouvrer une santé meilleure que jamais. J’attendais depuis longtemps l’hiver pour m’enfoncer profondément dans les forêts du Maine à bord de mon canoë, mais tout cela est tellement loin que c’est à peine si je puis faire une promenade languide à pied dans les rues de Concord (3).
Je ne sais pas comment le malentendu est apparu au sujet de l’excursion à Cape Cod (4). Ce qui s’en approche le plus, c’est qu’il y a environ un mois, Channing m’a proposé d’aller avec lui à Truro, sur Cape Cod, et d’y séjourner en pension quelque temps, mais j’ai décliné son offre. Toutefois, pendant une semaine, j’ai été plus ou moins tenté d’aller là-bas, pour m’installer sur le rivage une semaine ou deux, mais je ne me hasarde pas à lui proposer de lui servir de compagnon de voyage, pas plus qu’à aucun péripatéticien. Non pas que je ne me réjouirais pas de vous avoir, Brown, C[hanning] ou vous, à mes côtés. Je ne suis pas certain que C[hanning] veuille vraiment partir maintenant – et comme je m’y rends uniquement pour raison médicale, puisque j’en ai besoin, je ne juge pas que nécessaire de lui notifier que je suis sur le point de prendre mes amers (5).
Depuis que j’ai commencé cette lettre, soit en l’espace de 5 minutes, j’en suis venu à me dire que je me mettrai en route pour Truro samedi matin prochain – le 30. Je ne sais pas à quelle heure le paquebot quitte Boston, ni exactement quel genre de logement je trouverai à Truro.
J’aurais beaucoup de chance si Brown et vous étiez là en même temps, et bien que vous ayez parlé du 20 juillet, je me permettrai de vous suggérer de venir à Concord vendredi soir (le jour où, d’ailleurs, Garrison et Phillips (6) viennent parler ici) et d’aller au Cape avec moi. Bien que nous fassions de brèves promenades ensemble, là-bas nous pourrons avoir de longues discussions, et qui plus est, Brown et vous disposerez de suffisamment de temps pour vos propres excursions.
J’ai reçu une lettre de Cholmondeley l’hiver dernier, que j’aimerais vous montrer, tout comme son livre (7). Il écrit qu’il a “accepté l’offre d’un poste de capitaine dans la Salop Militia (8)” et qu’il espérait au plus vite prendre une part active dans la guerre.

1. La faiblesse des jambes dont il souffrait est le premier symptôme de la tuberculose dont il mourra.
2. Exode 20 :7 : “Tu ne prononceras pas le nom de Yahvé ton Dieu à faux, car Yahvé ne laisse pas impuni celui qui prononce son nom à faux”.
3. Il avait dû annuler ce qui aurait été sa troisième excursion dans le Maine, et ne fera qu’une simple excursion de convalescence au Cape Cod, peu après avoir écrit cette lettre, en compagnie de Channing.
4. “An Excursion to Cape Cod”, dont la première partie a paru ce mois-ci dans Putnam’s Monthly, mais dont la publication s’arrêtera brutalement en août.
5. Concoction médicale à base d’herbes et de racines amères, et (souvent) d’alcool.
6. William Lloyd Garrison (1805-1879), éditeur fondateur du Liberator, principal organe de la Société Anti-Esclavagisme Américaine. Wendell Phillips (1811-1884), ami du précédent et brillant orateur. Tous deux étaient des célèbres figures abolitionnistes et avaient parlé au cours d’une réunion à la Middlesex County Anti-Slavery Society dans Concord Town Hall le 29 juin 1855.
7. Ultima Thule; or, Thoughts Suggested by a Residence in New Zealand (Londres, 1854).
8. Corps de volontaires anglais, baptisé ainsi d’après Salop, l’autre nom de la ville de Shropshire.

 

2
Je vous remercie encore et encore pour les encouragements que constituent vos lettres pour moi. mais je dois m’arrêter d’écrire ou il m’en coûtera.
Sincèrement Vôtre
H.D. Thoreau
Henry David Thoreau à Harrison Gray Otis Blake
North Truro, 8 juillet 1855.
Puisqu’il n’y avait pas de paquebot, je n’ai pas quitté Boston avant jeudi dernier, bien que j’y sois descendu mercredi, en compagnie de Channing. Il n’y a pas de pub ici, mais nous sommes en pension chez Mr. James Small, le gardien, dans une petite maison attachée au Highland Lighthouse9. C’est vrai que la table n’est pas aussi propre que nous pourrions le souhaiter, mais je l’ai trouvée incomparablement supérieure à l’hôtel Provincetown. Ce sont ce qu’on appelle de “bons vivants”. Notre hôte possède une autre maison plus grande et très confortable, à un quart de mile de là, inoccupée, où il affirme pouvoir encore loger plusieurs personnes. C’est un homme auquel il est très agréable d’avoir affaire – il a souvent été le représentant de la ville, et en est peut-être l’homme le plus intelligent. Je resterai sans doute ici une bonne dizaine de jours de plus : pension $ 3.50 par semaine. Partant, Brown et vous feriez mieux de venir sans délai. Vous trouverez le schooner Melrose ou bien un autre, ou même les deux, qui quitte Commerce Street ou le T Wharf10, à 9 h[eures] du matin (cela signifie en général 10 heures), les mardis, jeudis et samedis – voire même les autres jours. Nous sommes partis aux alentours de 10 heures du matin et sommes arrivés à Provincetown à 5 heures de l’après-midi – une belle traversée. Il y a une diligence qui va jusqu’au Cape tous les matins sauf le dimanche, qui part à 4 heures ½ du matin et arrive au bureau de poste de North Truro, à sept miles de Provincetown et un mile du phare, vers 6 heures. Si vous arrivez à P[rovincetown] avant la nuit, vous pouvez faire le reste de la route à pied et faire suivre vos bagages. Vous pouvez aussi venir par train de Boston à Yarmouth11, et parcourir encore quarante miles supplémentaires en diligence – tous les jours, mais ça coûte beaucoup plus cher et le voyage n’est pas agréable. Venez par n’importe quel moyen, car dans ces États, c’est de loin le meilleur point de vue sur l’océan dans ces États. J’espère que vous me ferez l’honneur de venir à ma rencontre.