Coup d’envoi
L’ÉTAT D’ENFANCE
En général, les jeux mettent de l’ordre dans le chaos, d’abord dans le chaos de la petite enfance.
Vladimir Dimitrijevic
Ce petit voyage sur la planète foot – mon territoire d’enfance – j’ai tenu à le faire avec des écrivains footeux. Si j’étais sélectionneur, je les retiendrais dans mon équipe-type : Camus dans les buts, avec Réda comme doublure. Perros et Haldas comme joueurs de champ, entourés de Pividal, Esterhazy, Venaille, Rudnicki, De Cornière, Rouaud, et de quelques auteurs moins connus mais également pleins de talent.
*
Les plus belles pages sur le football et l’enfance ont été écrites par Georges Haldas. Cet écrivain suisse d’origine grecque était si myope qu’on a du mal à croire que sa vision d’un match ait pu dépasser le bord d’une touche.
De façon poignante, il décrit l’héritage qu’il tient de son père, fervent supporter du Servette de Genève, qui le conduisit un jour sur un terrain de football. « Le football, écrit-il, m’apparut définitivement comme une opération nimbée de gloire. Mon pauvre père n’imaginait pas quelle porte il venait d’ouvrir devant moi, devant nous ».
Georges Haldas peut donc écrire : « L’engouement de la plupart des hommes pour le football est inconcevable sans le retour à l’enfance ».
L’écrivain argentin Rafaël Pividal s’est aussi beaucoup interrogé sur cette passion venue de l’enfance. « On apprenait le foot comme on apprenait le tango, par transmission immédiate, par conseils souvent faux. Science du dribble surtout, de la passe élégante, de la fioriture inutile ».
Georges Perros évoque également dans ses « Papiers collés » cette passion qui l’a prise très jeune et qu’il a continué à satisfaire au gré de ses « vieillissures » : « Il me suffit à nouveau, avoue-t-il, de trouver une peau de banane, un caillou, ou mieux une bande de gosses sur une petite place, pour éprouver le plaisir d’un jeu qui maintenant remue les foules ».
*
Mais à quatorze ou quinze ans, c’est presque fini. Le foot de l’enfance bascule sur le terrain des adultes. Tous les coups sont désormais permis. Il faut savoir tacler méchamment, tirer sur le maillot, « marquer à la culotte ». Quitter l’enthousiasme et la spontanéité pour devenir calculateur. « À mesure que les joueurs grandissaient, raconte l’écrivain Jean Rouaud, le jeu devenait de plus en plus rude, trop rude pour les brodeurs aux pieds agiles, aux déhanchements subtils ».
Georges Perros a tout dit là-dessus. « Chaque dimanche, ou presque, je vois ainsi l’arrière-gauche de l’équipe qui a l’honneur de représenter la ville où je respire, bon garçon au demeurant, faucher bravement l’ailier droit adverse ».
C’est de la nostalgie du football d’enfance, fait de plaisir et de générosité, dont il est question ici.