À L’AMOUR
Amour, supplice heureux, rêverie enflammée,
Toi qui sous le soleil tiens la terre pâmée,
Dieu de la volupté, des sanglots et des pleurs,
Sur tes brûlants autels coule le sang des cœurs.
N’es-tu pas, dans les mains de l’homme et de la
femme,
Un miroir où chacun vient regarder son âme ?
N’es-tu qu’un vaste abîme, où nous courons jeter
Notre moëlle, nos jours, nos nuits, sans rien
compter ?
Je fus longtemps, Amour, ta proie et ta victime ;
Un ver piqua les fruits de ma jeunesse intime,
Et mon cœur est blessé par sa maturité.
Rêvant les voluptés multiples d’un satrape,
J’orne le front cornu de l’antique Priape
Des myrtes délicats de la perversité.
PRIAPE
Priape, dieu vivant, tombé d’un ciel impur,
Protecteur des jardins, j’ai dans un coin occulte
Gardé pieusement les rites de ton culte,
Et j’aime ton phallus qui monte vers l’azur !
Dégoûté des amours, dont le mensonge enivre,
L’imagination meurtrie et le cœur las,
Je suis venu vers toi, toi qui me révélas
Des plaisirs clandestins où l’on se sent revivre.
Moi qui veux deviner tout symbole inconnu,
Poëte agenouillé devant ton front cornu,
J’ai ceint de fleurs ton buste et ton ventre difforme.
Mais il est pour le cœur un autel plus sacré ;
Dans la joie ou les pleurs, sous le saule ou sous
l’orme,
Tu peux m’attendre, Amour : demain je reviendrai.
LE CLITORIS
Le clitoris en fleur, que jalousent les roses,
Aspire, sous la robe, à l’invincible amant ;
Silence, vents du soir ! taisez-vous, cœurs
moroses !
Un souffle a palpité sous le blanc vêtement.
Béatrix, Héloïse, Ève, Clorinde, Elvire,
Héroïnes d’amour, prêtresses de l’art pur,
Chercheuses d’infini, cachez-vous dans l’azur !
D’astre en astre montez, aux accents de la lyre,
Loin des soupirs humains ; plus haut, plus haut
encor,
Volez, planez, rêvez parmi les sphères d’or !
Le printemps fait jaillir les effets hors des causes ;
La lune irrite, ô mer ! ton éternel tourment,
Et le désir en flamme ouvre amoureusement
Le clitoris en fleur que jalousent les roses.
VÉNUS CALLIPYGE
Ô Vénus Callipyge, ô reine de beauté !
Qu’un sculpteur grec baigna d’une grâce
inconnue,
Sur le sable des mers, debout et demi-nue,
Tu souris aux contours de ta divinité.
Déesse, rêve heureux de l’impudeur antique,
Tu détournes la tête, et tu sembles aimer
Les troublantes rondeurs que l’art sut enflammer,
Puisque, pour les mieux voir, tu lèves ta tunique.
Tout poëte t’adore, immobile et rêvant ;
Son regard, ce baiser des cœurs forts, a souvent
Brûlé d’un vain baiser tes deux fesses de marbre.
Il voudrait t’emporter dans ses bras éperdus,
Et cueillir sur tes reins des plaisirs défendus,
Car en lui le désir se dresse comme un arbre !
ECCE HOMO
Parfois, lorsque l’esprit, comme un roi sans
couronne,
Vers un lointain exil et des cieux inconnus,
S’enfuit, la chair docile aux conseils de Vénus,
Flot rouge et débordé, se révolte et frissonne.
Alors les désirs fous, meute qu’on emprisonne,
Montrent leurs yeux ardents et tordent leurs bras
nus ;
Hors du cercle où l’esprit les avait contenus,
Ils brûlent tout, pareils à la mort qui moissonne.
L’homme et la femme, las de leur accouplement,
Vont cueillir au hasard les voluptés de Rome
Et les lubricités où se berça Sodome.
Priape, demi-dieu de l’abrutissement,
Lève son fier phallus vers le bleu firmament :
Et s’écrie : – « À genoux ! adorez ! voici l’homme ! »
LA LECTURE
Une enfant de quinze ans, une rose entr’ouverte,
À l’ombre d’un buisson en fleurs, lisait, un jour,
Un conte du vieux temps, une histoire d’amour,
Et sa jambe lascive irritait l’herbe verte.
De sa poitrine ronde un soupir s’envola ;
Elle serra les dents, et sa bouche de fraise
Sous des baisers ardents sembla se pâmer d’aise ;
Son œil, clos à demi, soudain étincela.
Sur son cœur frémissant, comme un être qu’on
aime,
Vaincue, elle pressa le cher et doux poëme,
Que son désir avait lu d’une seule main.
On eût vu sur ses pieds tomber sa jupe blanche,
Lorsque son cri charma les oiseaux sur leur
branche :
– « Conteur, je relirai ton beau conte demain ! »
LES ROSES
À Manon
De ta bouche, rose vermeille,
Lorsque ta langue sort, pareille
Au dard enivré d’une abeille,
Le cœur ouvre l’aile, et s’éveille.
Mais le sang court à flots troublants,
Quand l’essaim des baisers brûlants
Sur tes seins, coteaux ronds et blancs,
Mouille et mord tes boutons tremblants.
Une ardente et mystique rose
Que le feu de jeunesse arrose
Tressaille et jamais ne repose
Sous les touffes d’un frais bosquet…
Que ne puis-je, en ton lit coquet,
Des trois roses faire un bouquet !