La Flamboyante

Victoire Le Bollec, armatrice à Binic, vit au rythme de la Grande pêche à la voile. A l’aube de la cinquantaine, les questions se bousculent : sur la place échue, la place voulue, la solitude, la violence du désir. Une étape dans sa vie de femme, de mère et d’amante. L’avenir incertain de la pêche va la contraindre à prendre des décisions. La poésie de cette écriture vive et limpide, la puissance d’évocation fine des lieux, des sentiments, des personnages (dont la mer n’est pas le moindre) font de ce premier roman un cadeau magnifique d’accomplissement et de sérénité.

Nantaise d’origine, Thérèse Boisdron a vécu près des bords de l’Erdre, de la Loire et de la mer. Elle aime naviguer. L’univers maritime imprègne l’ensemble de son œuvre. Après un recueil de poésie « Acre de lune », la participation à plusieurs recueils collectifs de nouvelles et lauréate de plusieurs concours de nouvelles, l’auteure signe ici son premier roman.

Format : 12 x 17
Nombre de pages : 185 pages
ISBN : 978-2-84418-411-5

Année de parution : 2021

 

 

 

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Chapitre 1 : Retour de campagne

Victoire se leva rapidement, enfila un chemisier et un pantalon souple. Sans attendre que Margot lui prépare son petit déjeuner, elle se fit un café noir et des œufs mollets, comme elle les aimait. Il s’agissait de prendre des forces. Toutes les goélettes étaient maintenant rentrées des bans. Sans aucune perte humaine. Victoire avait attendu le retour de la dernière, « L’espérance » pour se réjouir pleinement de cette campagne qui s’était avérée plus fructueuse qu’elle ne l’avait imaginé. Des tonnes de morue séchées avaient été déchargées, les cales vidées de leur sel et les voiles dégrées. Aujourd’hui Victoire Le Bollec, armatrice à Binic, allait inspecter ses bâtiments. Björg, son secrétaire particulier l’accompagnerait.
Björg arriva, ponctuel, comme toujours.
Ils sortirent du manoir. L’effervescence régnait sur les quais et dans le bourg. Les hommes étaient revenus. Fin de l’angoisse pour les femmes. Le bourg, les quais désertés durant la campagne de pêche bourdonnaient d’une rumeur joyeuse. Les fenêtres grandes ouvertes au soleil respiraient enfin un air léger. Tous délivrés, cette fois encore – de la morsure du deuil. Ils longèrent les quais jusqu’au môle et franchirent l’échelle de coupée de « Bételgeuse », le premier bateau arrivé de Terre-Neuve. Ils furent accueillis par le capitaine et le bosco en habits du dimanche et rasés de près. Victoire les remercia d’avoir ramené l’équipage et le bâtiment à bon port. Guidés par le capitaine, ils se dirigèrent vers la proue. L’inspection méticuleuse du navire commença. Victoire écoutait attentivement le capitaine détailler les évènements de la campagne, les avaries subies, les dégâts occasionnés par les coups de chien. Elle questionnait, observait. Petite-fille d’armateur, elle était née ici. Adolescente, elle avait accompagné son grand-père lors de ses tournées d’inspection. Rien ne lui échappait. Les capitaines le savaient et n’essayaient pas de lui cacher quoi que ce soit. Leur intérêt ainsi que celui de leur équipage leur commandait de ne rien laisser au hasard. Silencieux, Björg consignait scrupuleusement avaries et pertes d’apparaux. Il établirait ensuite la liste des travaux nécessaires à la remise en état. Lui aussi observait, enregistrait, faisait ici ou là une remarque, demandait une précision. Ils explorèrent méticuleusement le pont jusqu’à la poupe, s’arrêtèrent longuement sur chacune des pièces du gréement, examinèrent chacune des doris. Victoire s’enquérait des difficultés rencontrées, proposait des améliorations à apporter pour faciliter les manœuvres. Ils descendirent ensuite dans le carré, inspectèrent les couchettes, les cales à poisson puis les œuvres vives de la goélette, bordées, membrures. Chaque bateau sera ensuite mis en cale sèche pour vérifier l’état de la coque. La visite se prolongea jusqu’en fin d’après-midi. Comme toujours, Victoire invita le capitaine, le bosco et Björg à dîner au manoir. Elle avait instauré ce rituel lorsqu’elle avait pris la tête de l’armement, à la mort d’Armand Le Bollec.
Ces dîners de retour de campagne étaient appréciés des capitaines : c’était une marque de reconnaissance. Reconnaissance mutuelle. Leur expérience de la mer, leur sang-froid, leur capacité à gouverner des hommes, parfois fortes têtes ou têtes brûlées, constituaient les conditions nécessaires à la vie de l’armement. Sans eux, elle ne serait rien. Elle ne l’oubliait jamais. Ce dîner leur exprimait sa gratitude.
Ils appréciaient aussi la bonne chère : viande fraîche et charcuteries dont ils avaient été privés durant de longs mois et vin de qualité qui remplaçait la piquette du bord. L’alcool aidant, ces hommes taiseux et rudes à la tâche s’amollissaient. Ils racontaient « leur » campagne. Quelques confidences y surgissaient : le courage de tel marin, la ténacité du jeune mousse dont c’était le premier embarquement, la gaité d’un autre, l’ingéniosité du cuistot, la fatigue du vieux Mich qu’il faudrait songer à remplacer…
Tard dans la nuit après le départ des marins, Victoire et Björg échangeaient leurs impressions. Depuis plus de trente ans qu’ils travaillaient ensemble, ces discussions devenaient de plus en plus brèves. Un simple regard durant la visite des bateaux ou le dîner leur suffisaient pour se comprendre. Ils se séparèrent rapidement. D’autres journées les attendaient, identiques à celle-ci. Il y aurait encore « L’Espérance », « L’étoile polaire », « la Marie-Louise », « La Fringante », « Constellation »…

Deux grandes semaines furent nécessaires à l’inspection de toute la flottille. Victoire et Björg établirent la liste des travaux à effectuer. L’armatrice décida : ceux qu’il faudrait effectuer en priorité, ceux qui devront attendre. S’ensuivirent de longues semaines de rencontres parfois houleuses, d’âpres négociations avec les charpentiers, les voiliers, les fournisseurs d’apparaux et de denrées alimentaires. Victoire n’hésitait pas à changer de fournisseur si elle n’obtenait pas satisfaction sur des prix. Certains la tenaient, sachant que la flotte devait repartir dès février prochain. Le prix du sel allait augmenter disait-on chez les armateurs. Victoire avait reçu une lettre de Sophie, son amie nantaise, qui confirmait la rumeur et l’alertait quant à l’abandon de l’exploitation de certains marais à Guérande, à Lasné.

Poids 101 g
Auteur

Boisdron Thérèse

Éditeur

Collection La Part Classique