Vendredi 18 août 1899
Quimper est loin déjà. La route ondule à peine, mais rocaille ; les roues chassent dans les flaques de poussière, les landes se dénudent, pas une ombre. « Attisé comme par de furieux ringards » , le soleil tombe droit, écrasant, et pour comble, un tricycle à pétrole passe, ronronnant et ironique… quelques instants de découragement, qui se traduisent par une sieste réparatrice.
Pont-Labbé pourtant, n’est plus loin. Le château est bien un château, mais le « Jardin Public » est tout au plus une plate-bande, et pourtant se paie le luxe d’un gardien, armé d’un bâton de vénérable allure, facilement troqué contre quelque monnaie. Le costume du pays – diadème russe, multiples jupons – présente, comme le type, un à-part intrigant. Les Pont-l’abbistes n’auraient-ils de Breton que le nom et l’habitat ? Deux menhirs, espacés de 50 mètres, à droite de la route, annoncent Penmarc’h. En plein champ, sortant de la terre meuble fraîchement retournée à travers laquelle on patauge, ils érigent leur impassibilité de granit, l’un trapu, l’autre plus svelte, étalant, en forme d’invraisemblable main une paume géante.
Les tiges de selle n’étant pas incassables, c’est à pied que nous prenons enfin possession de Penmarc’h, où un forgeron adroit et discret remet les choses en état. Le jour a baissé pendant l’opération. Le gîte et le couvert impossibles à obtenir en la localité, nous quittons, avant la nuit tombée, ce… rivage inhospitalier. Kérity n’est pas plus accueillant.
Saint-Guénolé, bras ouverts, nous offre, en revanche, deux hôtels. Comme l’avant-veille, au Raz, il importe de profiter de la nuit, de cette patine mystérieuse des paysages sublunaires, que l’on reverra demain au plein soleil. Et nous voilà courant sur les rochers partis d’ombre et de lumière, non plus, comme au Raz, agrégés en éperon effilé de 80 mètres de haut, mais étalés en éboulis, sur la côte basse, rase, comme sur laquelle on aurait passé une main gigantesque, nivelant, autant qu’on peut niveler des ruines, les accidents naturels, ou les saillies érigées de main d’homme. Des ruines et des ruines, c’est l’impression qui vague sur toute la presqu’île : ruine, cette tour de Saint-Guénolé, ruines, ces arches squelettiques de Kérity, ruines encore ces fermes, taillées à même les vieux châteaux, encloses de granits ouvrés empruntés aux anciens manoirs – ruines enfin, ces brisants écroulés en mer, à perte de vue…
Inévitablement, tel rocher silhouette un moine, assis, cette fois, tel autre, un re-crocodile ; et un peu d’inédit : un escargot-rhinocéros, suivant le flanc qu’il présente. Scellée à plat dans le roc, une croix de fer perpétue le souvenir d’une famille emportée, il y a trente ans, par une lame, un jour de tempête.
Et pendant plusieurs centaines de mètres, il nous faut longer un mur inepte, couronné de zinc, rongé déjà, par sa crête, miné par sa base, et enserrant une ignoble bâtisse quadrangulaire, massive, entourée de serres immédiatement déplacées. La façade, tournant le dos à la mer, fermée d’une grille de fer, débris du vieil opéra-comique, décorée de vasques de bronze de même provenance, ne répare pas, bien au contraire, l’impression désastreuse épanchée par cette fantaisie de millionnaire véreux, pseudo-médecin, boursier heureux, qui vint un beau jour s’y ruiner étourdiment en dégradant de cette maçonnerie déplacée, saugrenue, l’admirable terre-plein de Saint-Guénolé.
« Ce monument est dû à la stupidité de son propriétaire », trouva-t-il un jour gravé sur le mur.
Il est à vendre…
Echmühl, derrière nous, aveuglant, fouille de ses éclats incandescents les rochers et la mer ; faisant, à chaque ondée de lumière sauter de l’ombre un pignon de maison, un[e] crête d’écueil…