I
Ce mercredi [avril 1875].
Cher Monsieur,
J’ai eu hier, à mon retour de Normandie, une très agréable surprise en trouvant chez moi La Faute de l’Abbé Mouret que vous avez eu l’extrême amabilité de m’envoyer.
Les quelques mots écrits sur la première page m’ont fait le plus vif plaisir.
Je viens de terminer la lecture de ce livre, et, si mon opinion peut avoir quelque prix pour vous, je vous dirai que je l’ai trouvé fort beau et d’une puissance extraordinaire, je suis absolument enthousiasmé, peu de lectures m’ont causé une aussi forte impression. J’ai vu, du reste, avec un vrai bonheur, que les journaux, qui jusque-là vous avaient été hostiles, ont enfin été obligés de se rendre et d’admirer.
Quant à ce qui m’est personnel : j’ai éprouvé d’un bout à l’autre de ce livre une singulière sensation ; en même temps que je voyais ce que vous décrivez, je le respirais ; il se dégage de chaque page comme une odeur forte et continue ; vous nous faites tellement sentir la terre, les arbres, les fermentations et les germes, vous nous plongez dans un tel débordement de reproduction que cela finit par monter à la tête, et j’avoue qu’en terminant, après avoir aspiré coup sur coup et “les arômes puissants de dormeuse en sueur… de cette campagne de passion séchée, pâmée au soleil dans un vautrement de femme ardente et stérile” et l’Ève du Paradou qui était “comme un grand bouquet d’une odeur forte” et les senteurs du parc “Solitude nuptiale toute peuplée d’êtres embrassés” et jusqu’au Magnifique frère Archangias “puant lui-même l’odeur d’un bouc qui ne serait jamais satisfait”, je me suis aperçu que votre livre m’avait absolument grisé et, de plus, fortement excité !
J’espère, cher Monsieur, que j’aurai le plaisir de vous voir dimanche chez Gustave Flaubert et que je pourrai vous dire tout le plaisir que vous m’avez fait.
Recevez en attendant tous mes remerciements, et veuillez croire à mes sentiments les plus dévoués.
GUY DE MAUPASSANT
II
MINISTÈRE DE LA MARINE
ET DES COLONIES
Paris, ce 3 octobre 1876.
Cher Monsieur,
Une réapparition d’herpès (absolument étrangère à ma maladie de cœur) ! m’a décidé à voir Love plus tôt que je n’avais l’intention de le faire. J’irai donc chez lui 9, rue d’Aumale, jeudi prochain à midi ½ pour passer le ter. Pouvez-vous y venir ce jour-là. Si oui, ne me répondez pas ; sinon, indiquez-moi le jour qui vous conviendrait.
Croyez, je vous prie, cher Monsieur, à mes sentiments bien affectueux et dévoués.
GUY DE MAUPASSANT
17, rue Clauzel
Paris, ce 15 mai 1877.
Cher Maître,
Nous avons essayé hier soir toutes les combinaisons imaginables pour jouer notre pièce un autre jour que jeudi et réellement cela nous est absolument impossible. Nous espérons encore que vous serez libre ce soir-là. Comme vous ne restez pas chez vous le jeudi lorsque vous avez une première, ne pouvez-vous assimiler la “Feuille de Rose” à une première ordinaire ? Songez que c’est uniquement pour vous, Daudet et Ed. de Goncourt que nous avons organisé cette reprise, et que nous serions tous désolés si vous n’y assistiez point. Nous avons pressé nos répétitions et tout quitté pour arriver à être prêts avant votre départ, vous ne voudrez point nous laisser jouer sans nous applaudir.
Croyez, cher Maître, à mon dévouement le plus absolu.
GUY DE MAUPASSANT
17, rue Clauzel
IV
17, rue Clauzel. [Mai 1877].
Merci, cher Maître. Nous vous sommes on ne peut plus reconnaissants.
La représentation est annoncée pour 9 heures. Mais comme il y a toujours des gens en retard, nous ne commencerons qu’à 9 heures ¾. II vous suffira d’arriver juste à cette heure, mais pas plus tard.
Merci.