MINISTÈRE DE LA MARINE
ET DES COLONIES
Paris, ce 2 février 1874.
Madame,
Mon voyage à Étretat ayant été retardé de huit jours, je n’ai reçu que ce matin, en rentrant chez moi, votre aimable invitation que j’accepte avec grand plaisir.
Je vous remercie mille fois de l’intérêt que vous voulez bien prendre à mes petites pièces ; je les déposerai chez vous, trop heureux si elles peuvent vous plaire et si, à ce titre de camarade d’enfance, que vous invoquez si gracieusement dans votre lettre, vous me permettez de vous en dédier une.
Quant à les lire moi-même, je n’ose ; vous savez que je lis assez mal et il est désagréable pour un auteur d’écorcher lui-même ce qu’il a fait.
Je mets à vos pieds, Madame, l’hommage de mes sentiments tout dévoués et respectueux.
Rappelez-moi, je vous prie, au bon souvenir de Monsieur Commanville.
GUY DE MAUPASSANT
Je crois me rappeler que vous dîner à 7 heures.
[Juillet 1879 ?]
[Fragment]
Chère Madame et amie, il est vrai que le Ministre a l’intention d’offrir une pension à votre oncle que j’ai fini par décider à l’accepter. Le secret lui sera gardé. Surtout qu’il ignore que je vous en ai parlé…
ù
Vendredi [24 mai 1880].
Chère Madame,
Votre lettre m’a fait du bien, car je suis dans un état moral vraiment triste. Plus la mort du pauvre Flaubert s’éloigne, plus son souvenir me hante, plus je me sens le cœur endolori et l’esprit isolé. Son image est sans cesse devant moi, je le vois debout, dans sa grande robe de chambre brune qui s’élargissait quand il levait les bras en parlant. Tous ses gestes me reviennent, toutes ses intonations me poursuivent, et des phrases qu’il avait coutume de dire sont dans mon oreille comme s’il les prononçait encore. C’est le commencement des dures séparations, de ce dépècement de notre existence, où disparaissent l’une après l’autre toutes les personnes que nous aimions, en qui étaient nos souvenirs, avec qui nous pouvions causer le mieux des choses intimes.
Ces coups-là nous meurtrissent l’esprit et y laissent une souffrance continue qui demeure en toutes nos pensées.
Ma pauvre mère, là-bas, a été bien frappée, et il paraît qu’elle est restée toute seule enfermée dans sa chambre pendant deux jours entiers, pleurant. Pour elle, c’est le dernier vieil ami disparu ; c’est la vie désormais sans écho de tous les bons souvenirs de sa jeunesse ; c’est ne plus jamais pouvoir réciter avec personne cette “litanie des : Vous en souvient-il ?”
Je sens en ce moment d’une façon aiguë l’inutilité de vivre, la stérilité de tout effort, la hideuse monotonie des événements et des choses et cet isolement moral dans lequel nous vivons tous, mais dont je souffrais moins quand je pouvais causer avec lui ; car il avait, comme personne, ce sens des philosophies qui ouvre surtout des horizons, vous tient l’esprit aux grandes hauteurs d’où l’on contemple l’humanité entière, d’où l’on comprend l'”éternelle misère de tout”.
Voilà, madame, des choses tristes, mais les choses tristes valent mieux, lorsqu’on a le cœur affligé, que les choses indifférentes.
Si M. Commanville venait par hasard à Paris, je serais bien aise de causer avec lui. Voici pourquoi. Lapierre a commencé étourdiment la souscription qui se trouve maintenant arrêtée et même menacée d’être manquée par suite de cet empressement un peu inconsidéré. Tous les jours des amis de Flaubert viennent m’en parler et me demandent ce que vous allez faire. Je crois que, pour réussir, il faudrait organiser cela tout de suite, très sérieusement. Mais, pour cela, il faut connaître vos intentions.
Croyez, chère Madame et amie, à mon dévouement respectueux, profond et fraternel, et présentez, je vous prie, mes meilleurs compliments à votre mari.
GUY DE MAUPASSANT
ù
MINISTÈRE DE L’INSTRUCTION PUBLIQUE
ET DES BEAUX-ARTS
SECRÉTARIAT
1er BUREAU
Paris [été 1880].
Chère Madame,
Je crois qu’il me sera très difficile de m’échapper une heure pour aller chez vous avant votre départ ; je viens donc vous prévenir que j’ai vu ma tante et qu’elle sera très heureuse de vous donner Catherine. Quant à la jeune fille, vous savez quelle affection elle a pour vous, c’est donc pour elle un bonheur que de passer quelques jours à Croisset, et elle ne redoute point la tristesse ou plutôt la mélancolie qui forcément emplit encore votre maison.
Croyez, chère Madame, à mes sentiments tout dévoués et fraternels.
GUY DE MAUPASSANT
Lundi matin [janvier 1881 ?].
Madame et chère amie, je ne vous ai point répondu plus tôt parce que je suis au lit depuis huit jours avec une atroce névralgie du cerveau et des yeux. Je vous remercie infiniment des détails que vous m’avez envoyés et dont je ne savais qu’une partie. Je n’ai point répondu à Christofle, l’époque du Concours étant finie. Je lui avais écrit seulement un mot pour lui dire qu’aucun lien autre que ceux d’une très grande amitié n’existait entre Flaubert et Bouilhet. Cette calomnie qu’une grande ressemblance a fait courir ne peut du reste atteindre en rien la mémoire de votre grand’mère comme vous semblez le croire, car, si on peut quelquefois avoir un doute sur le père, il n’en saurait être de même pour la mère et c’est bien ainsi qu’on l’entend, car deux ou trois fois déjà j’ai eu à combattre cette erreur.
Je pars malheureusement demain matin pour Étretat, ce qui ne me permettra pas de vous voir à votre passage ici. Je tâcherai de me rendre à Croisset en revenant, mais je ne puis vous le promettre absolument car je puis être rappelé à Paris par dépêche et en ce cas je ne pourrais m’arrêter.
Croyez chère Madame et amie à mes sentiments bien affectueux et tout dévoués – mille amitiés à votre mari.
GUY DE MAUPASSANT
Si ma santé ne me permettait pas de partir demain (car je souffre toujours beaucoup) je tâcherais de me faire voiturer jusque chez vous quand vous passerez ici. Excusez le laconisme de cette lettre. Je suis absolument abruti par la névralgie.
1, rue du Redan, Cannes.
[C.P. : 28 janvier 1884].
Chère Madame et amie,
Merci de m’avoir écrit si vite. Il faut laisser M. Du Camp s’enferrer jusqu’au bout. Le procès, s’il a lieu, permettra de dire au tribunal son avis sur ce monsieur, et de l’écrire dans les journaux. Moi, j’attends. Je lui servirai, dès qu’il me prêtera le flanc, un article soigné et salé, poli et méprisant, qui ne lui laissera plus rien à désirer. Mais j’attends le procès pour ne frapper qu’à coup sûr et juste, au moment nécessaire.
Le procès va faire d’ailleurs beaucoup de bruit autour du volume, et donner à l’apparition du livre l’allure d’une actualité tapageuse.
Yung a coupé les citations des notes et le plan du conte dans mon étude, afin de finir en une fois. Charpentier pourra donc mettre en vente dès qu’il voudra. Les deux lettres que vous avez de Flaubert à Du Camp achèveront celui-ci.
Mon père m’écrit que j’ai dû recevoir également du papier timbré. En tout cas il ne m’a pas été envoyé à Cannes. Je viendrai à Paris si cela est nécessaire.
Certes, je me rappelle le banc de Fécamp qui me servait de navire, et le peuplier où je grimpais. Il me semble que je ferais encore le dessin de cet arbre. J’y ai pensé bien souvent. II y a des images de l’enfance qui restent nettes dans l’esprit plus que tout le reste, et celle-là est peut-être la plus précise que j’aie.
Ces vieux souvenirs sont des liens doux et tenaces. Je suis heureux, chère Madame et amie, que nous en ayons ainsi de communs qui nous rapprochent encore.
Croyez à la bien vive affection de votre ancien camarade.
GUY DE MAUPASSANT
qui se rappelle à l’amical souvenir de votre mari.